Un pays gravement touché par la pandémie
Depuis l'émergence de la pandémie du coronavirus (COVID-19), la plupart des gouvernements du monde entier ont été confrontés à des défis sanitaires, infrastructurels et humanitaires dans le cadre du contrôle de la propagation de la maladie et de l’atténuation de son impact sur la sécurité humaine et l’économie. Parmi les pays africains, le Mali a été l'un des derniers à enregistrer une flambée du virus, les premiers cas ayant été détectés le 25 mars sur des maliens en provenance de la France.
Avant cette apparition, le Gouvernement avait pris certaines mesures afin de limiter la propagation de la maladie, tels que la suspension des vols commerciaux en provenance des pays touchés (sauf les vols cargos), la fermeture des écoles publiques et privées et l’interdiction des regroupements à caractère social, culture. Mais ces mesures ont été progressivement levées à partir du 25 juillet 2020 suite à la décision de la Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et la baisse du taux des nouveaux cas enregistrés. A la date du 10 septembre 2020, plus de 2,800 personnes ont été testées positives au COVID-19, dont 128 décès et plus de 500 cas contacts font l’objet d’un suivi quotidien.
Toutefois, l’état de précarité généralisée d’une large frange de la population, pose un certain nombre de problèmes avec le coronavirus :
- L’aggravation de la pauvreté et des conditions de vie ;
- La sécurité alimentaire demeure particulièrement préoccupante où la majorité de la population des zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger n’avait pas accès à suffisamment de nourriture dans au moins 70% de localités évaluées dans chaque région ;
- La détérioration de la sécurité sanitaire, surtout dans les centres urbains ; l’accès aux infrastructures de santé a été difficile pour la majorité de la population dans une proportion considérable de localités ;
- Les moyens de subsistance comme l’agriculture et élevage ont été rapportés comme ayant été les plus perturbés ;
Dans ces conditions, la faible capacité de l’État à soutenir la croissance est un défi de taille dans la gestion de la pandémie. Quelques initiatives de bonnes volontés (dons de nourriture, renonciation à une partie du salaire) voient le jour, mais ces appuis demeurent infimes par rapport à l’ampleur du soutien requis. Qui plus est, l’économie malienne est fortement dominée par le secteur informel. Se pose dès lors la dualité entre nécessité de préservation de la santé publique et l’exigence de survie d’une grande partie des agents économiques.
Les tensions s'intensifient
L'impact de la pandémie a également été aggravé par l'augmentation des tensions sociales et politiques, allant d'une grève nationale des enseignants à des élections parlementaires entachées par des fraudes électorales et des résultats contestés, en passant par deux grandes manifestations organisées les 5 et 19 juin par une coalition d'acteurs politiques et de la société civile dite le "Mouvement", qui demandait la démission du Président de la République.
Ces tensions de longue date ont atteint leur point culminant lorsqu'une mutinerie de soldats sur une base dans la banlieue de Bamako s'est conclue par l'arrestation du président démocratiquement élu Ibrahim Boubacar Keita, de son Premier ministre et de plusieurs dignitaires de haut niveau le 18 août. Cela a finalement conduit à la démission du président ; depuis, il a été hospitalisé et a quitté le pays. Un comité militaire connu sous le nom de Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a pris le pouvoir et est engagé dans une consultation nationale avec différents groupes d'acteurs afin de gérer la transition politique, qui devrait conduire à des élections générales crédibles, libres et transparentes.
Risque d’augmentation du stigma, de la discrimination et potentiellement des tensions communautaires
Des répercussions inévitables sur la paix et cohésion sociale sont à craindre. La peur, la stigmatisation et la discrimination accrues dont font l'objet les victimes, les survivants et les familles touchées, les agents de santé et autres personnels de première ligne viennent saper l'ensemble des efforts de riposte contre la pandémie du COVID-19.
En effet, plusieurs individus affectés ont fait l’objet d’une stigmatisation sociale ou ont été abandonnés par leur famille considérant le risque élevé de contaminer les autres. En outre, il existe également un risque de suspicion et d'attitudes discriminatoires au sein des communautés à l'égard des nouveaux arrivants issus de communautés déplacées, en particulier s'ils viennent de régions supposées (à tort ou à raison) présenter un risque plus élevé d'attraper le virus. Cela pourrait entraîner une réticence des familles d'accueil à recevoir de nouvelles personnes déplacées. L'impact de la pandémie sur la consolidation de la paix est inévitable.
En outre, certains individus et travailleurs de la santé ont été victimes de violations de la vie privée perpétrées par des membres de leur communauté. Les réactions à ces violations sont susceptibles d'entraîner de la violence et des troubles publics, qui peuvent à leur tour entraver l'accès rapide aux centres de dépistage et de traitement et aux autres services de soutien, sapant ainsi les efforts visant à limiter la transmission du virus.
Plus alarmant encore, la propagande sur les réseaux sociaux, la désinformation et les conspirations ont encore provoqué des tensions et des actes de violence de la part des communautés vulnérables qui ont résisté aux efforts du gouvernement pour contenir la propagation du virus. L'épidémie risque en outre de provoquer des tensions intercommunautaires accrues pour le contrôle des ressources disponibles.
Impacts sur les initiatives locales de consolidation de la paix au Mali
Cette situation autour du coronavirus n’est pas sans conséquence sur les initiatives de paix. En effet, depuis l’annonce des mesures de restrictions, la plupart des organisations ont suspendu les activités terrain nécessitant le déplacement et le regroupement. Certaines ont privilégié le travail à distance par le biais du télé travail qui n’est pas à la portée d’un nombre important des organisations locales vivants à l’intérieur du pays en raison de l’inaccessibilité à internet. En cette période de chaleur, la fourniture d’électricité n’est pas régulière en raison du délestage.
Néanmoins, depuis le début de la pandémie, les organisations de la société civile locale chargées de la consolidation de la paix ont participé à des campagnes de sensibilisation visant les populations locales, les autorités religieuses, les chefs traditionnels et les forces de sécurité afin de mettre en évidence les dangers de la pandémie et la nécessité d'observer des mesures sanitaires et d'hygiène pour limiter sa propagation. En dépit des limites décrites, les artisans de la paix adaptent activement leur travail afin de sensibiliser la population par le biais des réseaux sociaux, des radios communautaires et des chaînes de télévision.
C’est ainsi que le conseil régional de la société civile a fait plusieurs semaines de campagne de sensibilisation contre le COVID-19 après que la région ait enregistrés des dizaines de cas positif en quelques jours. De même, un consortium d’OSC locales – FENACOF-Mali, (Fédération Nationale des Collectifs et Organisations féminines) et AFLED (Association Femmes Leadership et Développement Durable) – a entrepris des activités de sensibilisation autour de la pandémie COVID-19. Cette campagne s’inscrit dans le cadre du financement du fonds rapide et réactif de Voix et Leadership des femmes (VLF-Musoya).
Vecteur d’information et de sensibilisation sur les grandes problématiques qui se posent à la Nation, les acteurs locaux dont les médias ont aussi joué un rôle de premier plan à travers des sketches et des publications journalières via les chaînes de télévision publiques et privées, internet et les réseaux sociaux. La presse privée aussi est utilisée comme vecteur de certaines campagnes de sensibilisation, tout comme les radios et télévisions privées. Les messages sont traduits dans la plupart des langues nationales pour toucher le plus grand public possible, surtout dans les zones rurales. Ici, l’accent est mis plus sur l’information que sur la communication.
Ce travail a lieu dans un moment de transition pour le Mali - un moment pour se reconnecter, pour sensibiliser et pour soutenir les efforts de la base afin de désamorcer les tensions et de prévenir la montée des conflits au milieu de l'urgence sanitaire.